« L’agriculture et l’industrie, le luxe et la coiffure ont peu en commun » En réalité dans une même branche professionnelle, les contraintes et les modes d’organisation du travail se ressemblent beaucoup : il n’y a guère de différence entre une chaîne de production de telle entreprise de l’automobile par rapport à telle autre. Les accords de branche répondent donc aux spécificités des professions, tant en matière de droits et de protection des salarié·e·s que de processus de production. Pourquoi, alors, vouloir favoriser l’accord d’entreprise ? La réponse est simple : favoriser la course vers le bas. Penault et Reugeot dans le même bateau Prenons deux entreprises concurrentes imaginaires, Penault et Reugeot. Supposons que chez Penault, des syndicats aient réussi à maintenir les 35 heures payées 39 et obtenu la suppression du travail de nuit, délétère pour la santé. Supposons aussi, que chez Reugeot, l’on travaille 39 heures payées 39 et que l’on travaille de plus en plus la nuit, ce qui permet de mieux rentabiliser les machines. Inévitablement, les syndicats de Penault seront soumis à une pression forte de leur direction pour abandonner leurs avantages. Si l’on renonce à une régulation de la concurrence par les branches professionnelles, tout le monde sera tiré vers le bas. En réalité, la faculté « d’adaptation » des entreprises n’est qu’un prétexte pour faire régresser les droits des salarié·e·s, jugés préjudiciables à la compétitivité des entreprises. Sinon, comment comprendre que la loi crée aussi des « accords de groupe » qui peuvent parfois couvrir des dizaines d’entreprises de secteurs complètement différents et que ces accords s’imposent aux accords d’entreprise ? Il s’agit, en fait, de permettre aux employeurs de négocier les régressions au niveau qui leur convient le mieux, là où le rapport de forces est le plus faible. Plutôt que de faire primer les accords d’entreprise, il faut au contraire conforter les droits sociaux et libertés individuelles et collectives dans la loi (ordre public social) et renforcer le rôle des branches dans la régulation des normes, pour éviter le dumping social. Dans toutes les entreprises de plus de 50 salarié·e·s, un « comité social et économique » doit remplacer les instances de représentation du personnel (IRP) : délégués du personnel (DP), comité d’entreprise (CE) et comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Ce nouveau comité pourrait disposer également d’une compétence en matière de négociation d’accords d’entreprise. Cela répondrait au besoin d’un « dialogue social simple », nécessaire « si l’on veut que les représentants des salarié·e·s aient une vision d’ensemble, une vision stratégique qui leur permette de peser sur l’avenir de l’entreprise » [1]. « La fusion des IRP permet de simplifier le dialogue social » Un dialogue simple pour qui ? Pas pour les représentant·e·s du personnel (RP). Car la fusion des instances aura d’abord pour conséquence une diminution radicale de leur nombre et ils seront noyés sous une tonne de sujets généraux, sans moyens ni compétences suffisants. Elle les enfermera encore plus dans un face-à-face institutionnel, inégal avec l’employeur, à distance des personnels. Car la fusion se fera au périmètre du CE, le plus vaste, ce qui revient à supprimer les instances de proximité (DP et CHSCT) : comment dans ces conditions représenter réellement le personnel ? Comment assurer la prévention des risques professionnels et évaluer la pertinence des organisations, comment connaître et objectiver le travail réel des salarié·e·s, puisque la perte de proximité empêchera d’aller voir le travail de près et d’échanger avec les personnels sur les difficultés rencontrées ? « La santé au travail sera pleinement préservée » Le gouvernement a annoncé la possibilité, par accord majoritaire, de maintenir des instances séparées, mais celles-ci n’auraient pas la personnalité morale. Les CHSCT « maintenus » ne pourront donc plus mener des actions en justice pour s’opposer à une réorganisation risquant de mettre en jeu les conditions de travail et la santé des salarié·e·s ou faire reconnaître un préjudice. Les employeurs pourront y raconter ce qu’ils veulent. Les élu·e·s du personnel devront faire remonter aux élu·e·s du Comité social et économique les problèmes repérés, sans certitude qu’ils soient traités à leur juste mesure. La fusion des instances va éloigner les élus du travail et asphyxier la démocratie sociale, déjà très abîmée par les précédentes réformes (dont aucune évaluation n’a été faite). Elle va de plus dissoudre la question du travail dans les questions économiques, salariales et de gestion des œuvres sociales, à rebours de ce qu’il conviendrait de mettre en œuvre pour libérer le travail et favoriser l’emploi ! |